L'Histoire ne retiendra
que ses deux prises de position suivantes :
a) Durant l' Affaire Dreyfus, il préfère défendre l'ordre
et l'image de l'armée, quitte à laisser condamner un innocent,
et comme cet innocent est Juif, il y va de son discours antisémite.
Blum sera très peiné que son idole Barrès prenne la tête
des antidreyfusards. Autre chef des dreyfusards, Proust dédicacera
quand même un de ces livres à Barrès vers 1920. Il faut
dire que même si l'Affaire Dreyfus a coupé la France en deux
et a eu des conséquences politiques importantes encore jusqu'à
aujourd'hui, dans la vie de tous les jours, la majorité des Français
se sont vite réconciliés : le nouveau secrétaire et la
maîtresse de Barrès avaient été des dreyfusards
!
b) Durant la Première Guerre mondiale, il sera la voix qui encourage
les Français à monter au front. Même s'il a agi pour aider
les soldats en faisant voter des aides sociales et en défendant leurs
intérêts face aux critiques de l'arrière-front, il restera
pour ceux de l'époque le chantre de la boucherie, et sera hué
par la foule lors du défilé de la victoire en 1918.
Durant les dernières années de sa vie, l'aura artistique de
Barrès décline : c'est qu'arrive la nouvelle vague (Apollinaire,
Breton), et l'ancienne vague, surtout les critiques catholiques, n'apprécie
pas la liberté que prend Barrès en écrivant Les Jardins
sur l'Oronte. De plus et surtout, les deux affaires politiques (a et b)
enterreront le souvenir de Barrès : la littérature ressuscite
de plus en plus l'uvre des opprimés, des maudits (Baudelaire),
et l'image d'académicien et de député qu'avait Barrès
ne plaît plus.
Actuellement , soit le nom de Barrès n'évoque rien, soit il
rappelle le vague souvenir d'un militariste nationaliste antisémite.
Il reste l'objet d'étude de quelques intellectuels (de droite et plutôt
vieille France catholique). Il demeure une référence pour quelques
contemporains (François Mitterand, le Front national).
Il a une rue à Metz (la plaque indique "Maurice Barrès,
patriote lorrain", et non "écrivain"...), un monument
à Charmes (où il est né) et un autre, vraiment monumental,
sur la "Colline inspirée" (lieu du plus célèbre
de ses romans), et aussi un collège à Charmes : certains aimeraient
bien rebaptiser cette école, trouvant honteux qu'un lieu pédagogique
et républicain puisse rappeler des idées à ne pas enseigner
aux enfants.
Faut-il interdire Barrès ? Ce serait lui offrir une nouvelle tribune
posthume, comme à chaque fois que la censure s'en mêle : voyez
les versets de Rushdie, ou la dernière tentation du Christ de Scorcese
(ou pire, celui de Gibson...) !
Bien que je n'aime pas le personnage de Maurice Barrès, reconnaissons
que la Colline inspirée est un très bon livre. Les Jardins
sur l'Oronte sont par contre d'un kitsch hollywoodien digne d'un minable
soap opera.
La sur et le beau-frère de Maurice Leblanc, Georgette et Maurice Maeterlinck*, tenaient un salon littéraire que fréquentaient Maurice Barrès, Rodin, Anatole France*, Jules Renard, Mallarmé*, Oscar Wilde...
(* = dreyfusards).