Parmi les dix clans d'Illimpiya (Toungouska inférieure), il n'y avait pas un habitant qui n'avait pas entendu parlé de la façon dont le chamane Magankan avait puni les esprits qui refusaient de se soumettre à son Khargi personnel.
Le 30 Juin 1908 restera effectivement une date funeste : Agdy, le Vieil Homme du tonnerre, apporta le malheur sur terre. Ce jour là, vers 7 heures du matin, une légion interminable d' Agdy survola le clan de Shanyagir.
Les paysans observèrent un objet très brillant voler assez haut au-dessus de l'horizon en direction du nord-ouest. Le ciel était clair. L'atmosphère était chaude et sèche. L'objet tomba verticalement durant dix minutes. Quand il approcha du sol on aurait dit qu'il fut pulvérisé et à sa place se forma un immense nuage de fumée noire.
Ce fut une explosion comme jamais on en avait entendu de mémoire d'homme.
Les paysans de Nizhne-Karelinsk entendirent un bruit lourd, pas un bruit comme le tonnerre, mais comme si de grosses pierres dévalaient ou comme un coup de feu. Toutes les habitations furent secouées et au même moment, une langue fourchue de feu perça les nuages. Les vieilles femmes pleurèrent, tous imaginaient que la fin du monde approchait.
Pourtant quelqu'un osa à cette époque effroyable parcourir ces territoires maudits : l'arrière-grand-père de Thüür Khan, qui était ham (chamane) au pays voisin de Touva. En ces périodes troublées par les guerres lointaines et les révolutions, le pays de Touva se libéra de la domination des mandarins mandchous mais devint un protectorat russe. A l'emprise du tsar succédèrent l'oppression soviétique et la chasse aux chamanes. C'est à cette époque que l'aïeul de mon très cher Thüür Khan reçut la mission de contrer les sortilèges du chamane Magankan et de libérer les Toungouses des mensonges de Susdalev. Il quitta donc la taïga de Touva pour rejoindre les rives de la Toungouska.
C'est ainsi qu'il fut mis en contact avec un chamane toungouse et avec l'un des pans du secret.
Sur les lieux, toute la forêt d'Irkoutsk avait été bouleversée sur 45 km² : 60 millions d'arbres étaient couchés radialement sur le sol, brûlés comme des allumettes, autour d'une zone centrale où tout fut pratiquement incinéré. A quelques kilomètres de là, les arbres étaient décapités ou carrément éclatés comme de vulgaires pailles !
instantanément réduits en cendres, les chiens furent brûlés vifs, toutes les tentes des nomades furent brûlées ainsi que tous les stocks de nourriture et de bois. Les équipements placés sur les établis furent détruits.
Le fermier Sergi Semenov qui se trouvait sur le portail d'un magazin de Vanavara situé à 92 km au sud de lépicentre se souvient que le ciel se déchira et qu'au-dessus des forêts situées du côté nord le ciel semblait enflammé. A cet instant il sentit une chaleur intense comme si ses vêtements prenaient feu. Les habitants entendirent une détonation dans le ciel et une fracassante explosion. Semenov fut projeté sur le sol et traîné sur 6 mètres et perdit conscience. Le vent était devenu chaud, le sol et toutes les habitations tremblaient, les plafonds sécroulaient et toutes les fenêtres furent brisées. Le feu était si intense que les habitants ne pouvaient pas rester sur place.
Dans la région de la rivière Shelle, à un kilomètre de la rivière Chamba, il y avait deux montagnes. Une des montagnes s'écroula. Un trou se forma à sa place et se transforma en lac. La seconde montagne a été coupé de moitié.
Le lendemain à minuit, cinq heures après cette explosion du bout du monde, la Grande-Bretagne fut éblouie par un coucher de soleil étincelant. La nuit était si claire que les Londoniens pouvaient lire leur journal dans la rue, à minuit, sans avoir recours à l'éclairage de la ville !
Après cet événement, les Toungouses crurent que la région était enchantée et que seul Agdy pouvait vivre à l'endroit de la catastrophe. Ils pensaient lui avoir désobéi...
Dès 1910 un marchand russe nommé Susdalev profita de la crédulité des Toungouses pour sassurer la mainmise sur leur territoire et sempressa de déclarer leur terre sacrée. Durant vingt ans aucun Toungouse n'osa s'aventurer dans la région.